Celles et ceux qui l'ont eue dans les oreilles ces dernières années savent que la musique d'Eartheater (ou Alexandra Drewchin de son vrai nom) se situe quelque part entre la litanie électronique métamorphe et le kaléidoscope trouble de la séduction. "How To Fight", présent sur l'album Phoenix: Flames Are Drew Upon My Skin (2020) se présentait comme un chant d'amour et de résurrection dans lequel une Eartheater en flammes jouait de la guitare allongée sur un lit. La mort, la sexualité et la renaissance constituaient ici les trois faces d'une même médaille calcinée. Mais si le feu anime indéniablement cette Pennsylvanienne qui a connu une enfance et une adolescence placées sous le signe de la religion et de la musique, cette dernière est avant tout fascinée par le sol et les fluides. En témoigne, entre autres miscellanées liquides et fascinantes, le morceau "Solid Liquid Gas" figurant sur sa mixtape Trinity, sortie en 2019. Ce tube aussi dansant et fragile qu'une goutte de rosée se présente comme une autre histoire de transformation — celle de l'idéalisation amoureuse, qui pousse à sortir de ses retranchements et à s'évaporer pour épouser les contours de l'Autre.
Powders est le dernier album d'Eartheater. Sorti le 20 septembre dernier sur son label Chemical X, il se situe dans la continuité des quatre précédents tout en adoptant une tonalité résolument lancinante, quelque part entre ballade pop du début des années 2000 et diamant brut électronique et reptilien. Peut-être faudrait-il commencer par le titre — ces "poudres" qui peuvent faire référence aussi bien à des miettes de terre humides qu'à des particules chimiques. Ce mélange entre nature et artifice est symptomatique de la musique d'Eartheater, qui mélange les boucles entêtantes des synthétiseurs numériques à des envolées de guitare, de harpe et de flûte aériennes (1). Le disque débute avec "Sugarcane Switch" et ses synthétiseurs venus des profondeurs de la Terre, accompagnés par une flûte cristalline et des vocalises qui ne vont pas sans évoquer le chant d'Elisabeth Fraser de
Cocteau Twins, l'une des nombreuses références de l'artiste (2). "Crushing", une déclaration d'amour quelque part entre remous des vagues et sable mouillé, essore sans ménagement le cœur de l'auditeurice ("
You're the wave crashing the shells into sand / You're the flame melting sand into glass"). Parmi les neuf perles qui constituent cet album, difficile de ne pas citer une étonnante reprise à la guitare acoustique du morceau "
Chop Suey" de System of a Down, groupe de metal alternatif qui a accompagné plus d'une adolescence, à commencer par celle d'Alexandra Drewchin. Ce choix surprenant rappelle que l'artiste se nourrit d'une multitude d'influences allant du hip hop (
Lil Kim) au hardcore (
Converge) (3) pour les digérer et les recycler dans des joyaux hybrides, oscillant entre pop bizarre et musique électronique souterraine. Construit sur une multitude d'oppositions et de mélanges entre profane et sacré ou entre évanescence du ciel et matérialité des sols terrestres,
Powders ne se situe jamais là où l'attend, à l'image du morceau "Heels Over Head" qui évoque une "ballade de la dépendance sexuelle" au rythme trébuchant. Les sécrétions humaines se mélangent avec celles de l'océan et des sols battus par la pluie ou craquelés par les vagues de chaleur. Si nous vivons dans une époque où toute prédiction sur le futur est hasardeuse, il est certain que la musique d'Eartheater accompagnera encore le ballet du soleil et de la lune pendant de nombreuses années.
(1) L'artiste est souvent accompagnée par des harpistes et/ou des violoncellistes lors de ses lives, comme celui pour le
NYU Fest (2021) ou la
Fuga Residency (2020).
(2) et (3) Comme elle le confiait dans
cette interview pour Crack Magazine le 4 mai dernier.
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