Chroniques fragmentaires : Avril 2024

Quand la lassitude procurée par le goût du café soluble finit par se confondre avec celle de croiser les mêmes personnes dans son bus du matin, il est bon de sélectionner avec un soin tout particulier la dopamine que l'on va s'injecter dans les oreilles. On pourra porter son choix sur Straight Out The Fridge de Twelve Cubic Feet, qui fera l'effet d'une orange pressée ou d'un rayon de soleil caressant ses joues, comme tout joyau post punk que des âmes charitables auraient sorti des entrailles de l'oubli. Chaque titre est un véritable tube absurde et l'album se clôt en beauté avec "Tuesday Afternoon" qui donne franchement envie d'emmener sa solitude faire une promenade sautillante dans le brouillard anglais. 

Shock Pop Vol. II
 de Chopper pourra également s'avérer un choix judicieux pour combattre l'ennui imposé par la routine et se téléporter en rêve sur la piste de danse de l'Haçienda. Attention cependant, car ce mix réjouissant de glam rock et d'eurodance donne plus envie de faire la fête que d'utiliser son travail pour barrer la route à ses pensées intrusives. En attendant, ces 5 titres aussi moites que dansants — qui s'étirent en longueur pour notre plus grand plaisir — donnent l'impression d'avoir enfermé une multitude de genres musicaux dans un mixer qui aurait perdu le contrôle pour créer un genre hybride et magnifique, répondant au doux nom de shock pop. J'en veux pour preuve l'irruption de free jazz aux accents industriels qui clôt "Cope" et devrait ne laisser personne indemne.

Les fragiles corolles de fleurs des arbres croisés chaque jour sur le chemin de son travail ont survécu aux pluies torrentielles d'avril. Quelque chose dans notre poitrine (étau ou papillon ?) se resserre doucement mais sûrement à chaque seconde qui passe et puis les vacances finissent par nous surprendre.

Pour son premier jour, on peut choisir de s'allonger sous un prunus en fleurs dévoré par les fourmis rouges, même si c'est fortement déconseillé dans son horoscope. C'est ainsi que l'on découvrira ILYSM, le premier album de innerinnerlife sorti fin mars, à mi-chemin entre ambient, glitch liquides et dreampop délicate. C'est à se demander s'il existe des personnes capables de ne pas boire la tasse dans le lac scintillant de la nostalgie quand elles écoutent des morceaux comme "Goodbye Prom Queen" ou "What Rhymes With Getting By". Tout l'album donne l'impression d'être à la fois un adieu et une célébration du passé permettant de considérer le futur avec une confiance renouvelée. L'utilisation subtile des samples rend hommage à ce qui n'est plus là mais qui nous hante toujours. Rien ne se perd — la musique de innerinnerlife et sa multitude de couches envoûtantes en sont la preuve. 

Certains morceaux résonnent très fort avec des sentiments profonds, parfois difficiles à exprimer par le langage articulé. Taraneh a le don de mettre en mots et en musique des émotions volatiles — le bruit qui coule comme du lait renversé sur le sol et dont on voudrait s'éloigner pour retrouver un amour perdu, par exemple. New Age Prayer, son nouvel album, se présente comme une adresse mélancolique et survoltée à un monde en bouleversement qui prend les traits de cette personne à laquelle on revient toujours parce qu'on écoute les mêmes chansons. Quelque part entre les déferlements club et le velours noir caressant les bas résille déchirés ("The Prophet", "Artificial" avec Evanora Unlimited <3), on retrouve de superbes moments d'introspection sobrement accompagnés de mélodies de guitare rugueuses ("Shed a Tear For Me"). L'ensemble donne un album magnifique, à consommer sans modération quand son attachement anxieux-évitant à l'égard d'autrui et du monde devient trop compliqué à gérer.

Pour celles et ceux qui se demandent s'il est possible de trouver une bande son pour accompagner l'heure bleue, il faudra se tourner vers light decline, le dernier EP de l'énigmatique great area. On pourra également savourer ces 16 minutes de sad pop cynique (Carla dal Forno friendly) agrémentée de lignes de basse obsédantes en arpentant des rues résidentielles et désertes, qui donnent l'impression de se trouver dans un lieu fictif où on est momentanément guéri·e de ses angoisses. 

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