Summer for the loners

Pour cet été 2024, la célèbre radio londonienne NTS a lancé une nouvelle série de mixes, animée par ses supporters aux quatre coins de la planète. Sobrement intitulée Heatwave, sa description est la suivante : "what music do you reach for when the temperature rises ?" ("vers quelle musique vous tournez-vous quand les températures augmentent ?"). Du perreo à la cumbia en passant par l'ambient, le field-recording ou le post punk, chaque invité·e offre sa propre vision d'un été solitaire, mystique ou festif. Lire les descriptions qui précèdent chaque mix est presque aussi passionnant que de les écouter en cherchant à déceler un peu de la personnalité ou de l'histoire de la personne à l'origine de ces sélections. Chacune de ces émissions a rapidement pris pour moi des allures de recette inratable pour passer un été réussi ou étouffant. Et pour cause, je peine toujours à comprendre le secret de celleux qui passent leurs étés à être occupé·es, avoir les bons plans pour voyager éthiquement/sans se ruiner ou faire exploser leur empreinte carbone et faire un nombre incalculable de découvertes et de nouvelles rencontres en l'espace de quelques semaines.

J’aimerais pouvoir dire que l’été est pour moi synonyme de renouveau dans tous les domaines mais je me souviens d’avoir découvert l’expression « rot girl summer » il y a quelques années et de m’être dit que je pratiquais cette trend sans le savoir depuis le milieu de l’adolescence. Je connais par cœur ces journées où le café sèche dans la tasse en porcelaine à cause de la chaleur et où l’événement phare sera le moment où je plongerai tête la première dans mon écran de 13 pouces pour regarder des personnages qui ont presque un quart de siècle et ne savent toujours pas prendre leur vie en main (comme la personne qui écrit ces lignes lol). Je ne sais pas pourquoi mais certains souvenirs ont fini par se bonifier avec le temps, comme un vin auquel j’aurai toujours envie de goûter avec une certaine appréhension. La lecture compulsive de Locas il y a 4 ans et l’obsession avec le personnage d’Izzy Reubens sur fond de noise et d’ambient anti crises d’angoisse ou mon premier visionnage de Girls il y a 5 ans ont fini par me procurer une forme de nostalgie que la personne déprimée et perdue que j’étais alors regarderait sans doute avec un mélange de surprise et de colère.

En fouillant dans la pile de compilations qui prend la poussière sur ma chaîne, je suis retombée sur un CD rassemblant une sélection des morceaux écoutés pendant l'été de mes 16 ans. Cet assemblage de 25 titres, allant du très chouette au franchement gênant, me semble tout aussi évocateur que les photos, les vidéos et les textes qu'il me reste de cette époque. Il dresse un portrait honnête, et débarrassé du vernis du passé, de la personne que j'étais à cette période — naïve, bourrée de clichés et faussement sociable. En réécoutant cette compilation, je vois en vrac des ciels trop roses et l'apprentissage brutal de la misère sociale dans les grandes villes par une adolescente privilégiée, qui a grandi dans les alentours d'une petite ville provinciale terne. Contrairement aux photos et aux vidéos, qui tendent à idéaliser le passé et à le vider de son contexte, une compilation ne dresse pas un portrait mensonger d'une époque révolue. La sélection des morceaux, l'ordre dans lequel ils ont été placés et la potentielle pochette faite main disent énormément ce qu'on a pu être et de ce qu'on aimerait parfois oublier. 

2015

À cette époque, je ne possédais aucun abonnement à des services de streaming audio. Comme beaucoup d'ami·es, j'effectuais des sessions de téléchargement hebdomadaires via des convertisseurs MP3 avant de mettre les morceaux sur mon iPod ou des CD, qui avaient le mérite de me permettre d'écouter de la musique sur ma chaîne puisque je ne possédais pas encore d'enceinte. Si je voulais être en mesure d'écouter ma musique sans écouteurs et à un volume raisonnable, les playlists devaient être gravées en avance pour pouvoir accompagner différents moments de vie, dont les vacances d'été. Ces compilations donnaient donc le ton à ces périodes avant même que je les vive. Je ne peux pas m'empêcher de me demander si les choses auraient été différentes si j'avais possédé un abonnement à une quelconque application de streaming à 16 ans ou fait plus tôt l'apprentissage difficile de la sérendipité mais il ne me reste que des CD épars, traces d'une époque à la fois merveilleuse et cursed par un mal-être qui n'irait pas en s'arrangeant. Si j'ai fini par céder à l'appel du streaming audio, la tradition des playlists estivales est restée.

Jusqu'à l'été 2021, je ne me souviens pas d'avoir écouté des genres musicaux à connotation estivale, comme le neoperreo ou l'"hyperpop". Au contraire, l'écoute de post punk ou de noise pendant les 4 mois interminables qui rythmaient les passages d'une année universitaire à une autre me paraissait être une sorte d'acte de résistance snob face à l'hédonisme estival. Cette tendance s'est inversée il y a 3 ans, au moment où j'ai commencé à rencontrer à nouveau des personnes très importantes, à l'image de celle qui est devenue ma meilleure amie. Depuis cet été-là, nous avons commencé à créer des playlists à deux, correspondant à différents moments de l'année. Ces dernières renferment un bon nombre de coups de cœur, de souvenirs partagés et de nouveaux départs. Désormais, je sais que même les jours où j’ai l’impression que la lumière ne rentrera pas dans ma chambre, je peux me tourner vers cette sélection musicale faite à deux et surtout la personne incroyable avec qui j’ai la chance de partager ces playlists et plein d’autres choses. Parce que c’est peut-être ça le secret d’un été réussi – avoir simplement les bonnes personnes avec qui passer ses journées et changer ainsi son point de vue sur des paysages parcourus jusqu’à l’écœurement, sans avoir besoin de se mettre la pression pour partir ou modifier ses habitudes.

2023

Actuellement, je suis en train de préparer une playlist pour un mix estival (dont la sortie est plus qu'incertaine). Ce dernier ne reflète que partiellement l'ambiance de cet été qui passe à la fois lentement et très rapidement. Loin de ces morceaux qui évoquent la chaleur, la fête, les crush et les voyages au bord de la mer, mon été consiste ces jours-ci à prendre le temps d'avoir des matinées qui s'étirent jusqu'à l'après-midi ou à faire des balades nocturnes avec ma sœur dans le village de notre enfance. La musique qui accompagne ces tranches de vie est à la fois solaire, aérienne et nostalgique. Elle me rappelle que ces moments jugés banals n'existeront bientôt plus et que je chercherai un jour à tout prix à revenir à cet environnement qui me paraît aussi naturel qu'étouffant. Peut-être que l'été consiste aussi et surtout à prendre le temps d'apprécier ce qu'on a avec les personnes qu'on aime — pour celleux qui ont la chance d'avoir des congés — et qu'on ne peut pas contempler le reste de l'année, par faute de rythmes de travail plus ou moins infernaux et tout simplement de ce capitalisme libéral qui pousse à désirer toujours davantage et devenir la version 4.0 de cet être qu'on déteste d'être tout juste bon·ne à expirer du CO2. Ce ne sont pas forcément le genre d'anecdotes qui auront du succès en soirée ou autour de la machine en café à la rentrée, mais des moments destinés à être chéris et remis en mémoire des mois plus tard, en retombant avec émotion sur un morceau jailli de l'oubli.


*Le titre de cet article provient du morceau éponyme de Blue Hawaii.

Un merci infini à Fatma pour sa relecture et son soutien immense qui donnent à ce blog une raison d'exister <3

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